Une génération sacrifiée sur l’autel des promesses non tenues

Par Sylvain Bogeat, président de Métropoles 50 et associé fondateur de Vestack

Des centaines de milliers d’étudiants vont bientôt découvrir sur Parcoursup leurs affectations pour l’année prochaine. Passé le moment de joie – ou de stupéfaction – initial, leur préoccupation première sera alors de se loger. car le logement étudiant est bel et bien devenu un facteur d’exclusion majeur en France. A la rentrée prochaine, moins d’un étudiant sur sept pourra obtenir une place en résidence étudiante. 

Un marché saturé et une jeunesse sous tension

Le tableau est édifiant. Sur les 2,7 millions d’étudiants en France, seuls 175 000 bénéficient d’un logement CROUS. Même en y ajoutant le parc social et le parc privé de résidences étudiantes, on atteint à peine les 400 000 logements. Les autres se débrouillent. Et par “débrouille”, j’entends loyers exorbitants, files d’attente interminables ou retour forcé chez les parents. Et la colocation intergénérationnelle à l’âge ingrat n’est pas forcément du goût de chacun…

Le logement représente plus de 60 % du budget mensuel d’un étudiant. À Paris, un simple studio dépasse les 850 €. À Bordeaux, Lyon ou Lille, la situation n’est guère meilleure. Et pour ceux qui n’ont ni caution familiale, ni réseau local, c’est l’exclusion assurée. Au-delà des marchands de sommeil, bon nombre de bailleurs privilégient les dossiers les plus solides dans un marché en surchauffe. 

La population étudiante augmente. La décohabitation progresse. Les étudiants étrangers affluent. Mais l’offre, elle, reste figée.

Des politiques publiques multiples et sans effets 

Chaque rentrée universitaire est marquée par la même hypocrisie. Les élus célèbrent la jeunesse, jurent leur attachement à l’égalité des chances, tout en laissant des dizaines de milliers d’étudiants sans solution de logement. 

Il faut être clair : le logement étudiant n’affiche pas de très bons résultats. Les différents ministres concernés ont promis (seulement) 100 000 logements sur les 10 dernières années. Résultat ? A peine la moyenne avec 60 000 logements livrés, dont une part significative dans le privé à loyers non régulés.

Pourquoi avons-nous perdu autant de temps ? Parce que les blocages sont légion, et que personne ne veut prendre des mesures suffisamment affirmées pour les faire sauter. Le manque de foncier est réel, mais rien n’est fait pour le libérer. La réforme des APL, en réduisant la rentabilité des logements, a tué dans l’œuf de nombreux projets. Enfin, de nombreuses villes comme Lyon ou Bordeaux ont tourné le dos à toute densification, avec un impact réel sur la production de logements étudiants. 

Ajoutons à cela une cacophonie institutionnelle : entre l’État, les régions, les métropoles, les universités, les CROUS, et maintenant les collectivités sous la loi 3DS, personne ne pilote, tout le monde piétine. Chacun défend son pré carré pendant que les étudiants dorment sur le canapé de leurs amis.

Un nouvel élan pour le logement étudiant? 

Dans ce paysage, le lancement du nouveau programme AGiLE par la Banque des Territoires apparaît comme une initiative ambitieuse, enfin à la hauteur des enjeux. L’objectif affiché : 75 000 logements étudiants créés d’ici 2030, dont 45 000 entre 2025 et 2028, avec une répartition assumée entre logements abordables (50 000) et logements à loyer libre (25 000). Pour cela, ce sont 5 milliards d’euros qui seront mobilisés : 3,5 milliards en prêts sur fonds d’épargne et 1,5 milliard en fonds propres, avec le soutien d’acteurs comme CDC Habitat, Icade ou Uxco Group (déjà engagé sur 18 résidences et près de 7 000 lits).

Le programme comprend également une enveloppe de 20 millions d’euros dédiée à l’ingénierie territoriale, une stratégie foncière, une approche collaborative avec les collectivités et les CROUS, et une volonté de transformation écologique des bâtiments.

C’est une annonce forte, bien structurée, bien financée. Mais elle n’aura de valeur que si elle est réellement mise en œuvre. Nous n’avons plus le luxe de croire sur parole. Il ne faut pas que le programme AGiLE devienne une promesse de plus, enterrée sous les rapports d’étape, les lenteurs administratives ou les arbitrages budgétaires. Le temps des mesures symboliques est révolu. Ce programme peut faire la différence – à condition de produire vite, massivement, et là où les besoins sont les plus criants.

Un toit pour chaque étudiant : plus d’excuses, des solutions

Quoi qu’il en soit, il est temps de passer à l’action. Plus de rapports, plus de mesurettes. Comme tous les étudiants et leurs parents, je veux des actes. 

L’Etat ne peut pas tout faire, mais il doit a minima coordonner et centraliser les besoins et les offres. Il faut créer une plateforme nationale unique : « 1 jeune – 1 logement ». Cela permettra de simplifier le parcours des étudiants. Tous les types d’offres doivent y figurer : CROUS, logements étudiants privés, colocations solidaires, hébergements intergénérationnels… Et tout doit être interconnecté aux aides disponibles (APL, Visale, bourses). On ne peut plus laisser un étudiant galérer entre 15 sites, 12 guichets et 8 procédures. Il faut un guichet unique (mais pas celui de l’INPI !).

Ensuite, il faut construire. Vite, massivement, et intelligemment. Pour cela, il faut mobiliser immédiatement le foncier universitaire et public, qui peut accueillir près de 20 000 logements. Si les pouvoirs publics ne le font pas, transférons ces propriétés à des foncières privées. Je pense également à la transformation des millions de mètres carrés de bureaux vides en zones tendues, qui pourraient être adaptés au logement étudiant. De la même manière, si les propriétaires privés restent assis sur leurs bijoux de famille, il faut savoir mettre en place les bonnes incitations fiscales. 

Côté production, arrêtons de réinventer la roue à chaque résidence étudiante, alors qu’il s’agit toujours du même besoin ! Il faut créer un grand catalogue de solutions de construction et de rénovation, qui permettront à tous les utilisateurs de produire des logements rapidement et efficacement. Pourquoi ne pas confier à la Caisse des Dépôts une rôle majeur pour consolider le foncier, identifier des solutions de construction, et financer les projets ? C’est d’ailleurs ce que commence à faire la Banque des Territoires, bras armé de la Caisse des Dépôts, avec le programme AGiLE. Reste à savoir si les belles promesses se transformeront en résultats concrets, cette fois.

La crise du logement étudiant n’est pas une fatalité.

Le logement étudiant est un révélateur : celui d’un pays trop lent, qui n’agit pas même lorsqu’il en a les moyens. L’inflation, la pénurie, la désorganisation de l’offre publique, l’inaccessibilité du parc privé… tout est documenté depuis des années. Mais rien ne change. 

La jeunesse ne demande pas de discours. Elle attend des logements. L’État ne peut plus se contenter de promettre : il doit produire. Les solutions sont sur la table. Rien d’insurmontable, rien d’abstrait. Ce qu’il faut maintenant, c’est arrêter de tergiverser.

Sylvain BOGEAT

Président du Think Tank Métropoles 50
Associé fondateur Vestack 
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